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Depuis plusieurs mois, l’idée circule largement : le trafic issu des modèles de langage comme ChatGPT ou Perplexity serait plus qualifié que celui généré par le SEO classique. Mieux ciblés, plus avancés dans leur réflexion, les utilisateurs qui cliqueraient sur un lien suggéré par un LLM montreraient une intention d’action plus forte que ceux arrivant par une requête Google traditionnelle.
Mais cette hypothèse, largement relayée, restait jusqu’ici sans preuve chiffrée.
Le 12 mai 2025, Dan Taylor (Head of Technical SEO chez Salt Agency) publie une analyse inédite : une étude de grande ampleur basée sur 671 000 sessions issues de LLMs et 188 millions de sessions SEO, toutes enregistrées dans Google Analytics 4 (GA4) entre janvier et mars 2025. En se fondant sur le Key Event Conversion Rate (KECVR) – un indicateur d’engagement mesurant la proportion de sessions déclenchant des événements clés – il cherche à répondre à une question simple :
Les LLMs génèrent-ils vraiment plus d’engagement ?
Le résultat est clair : non, en moyenne, les utilisateurs SEO convertissent mieux. Et l’écart est parfois important, notamment dans les secteurs les plus transactionnels (e-commerce, B2B ou éducation).
Cette étude est la première à quantifier concrètement l’écart de performance entre ces deux sources de trafic dans un cadre comparable. Elle nous offre une base précieuse pour comprendre les forces et limites de la visibilité dans les moteurs de réponse, affiner nos stratégies SEO et repenser l’expérience de contenu dans un monde où l’utilisateur ne tape plus forcément de mots-clés, mais pose des questions à un assistant conversationnel.
Dans cet article, nous revenons en détail sur cette étude, sa méthodologie, ses enseignements sectoriels… et ce que cela change pour les éditeurs et professionnels du SEO.
Méthodologie : une base solide mais hétérogène
Pour mener son analyse, Dan Taylor s’appuie sur les données agrégées d’une quarantaine de sites web, répartis en 40 catégories sectorielles : du SaaS au voyage, en passant par la santé ou l’e-commerce. Les données ont été crowdsourcées auprès de professionnels du SEO via Twitter, Slack et LinkedIn, puis consolidées dans un tableau de bord Looker Studio.
Les indicateurs analysés
- Sessions issues des LLMs : 671 694.
- Sessions SEO classiques (canal organique) : 188 357 711.
- Événements clés GA4 déclenchés par les LLMs : 214 617.
- Événements clés GA4 déclenchés par le SEO : 62 191 461.
Ces « key events » désignent des actions définies dans GA4 comme représentatives d’une conversion ou d’un engagement significatif (ex. : ajout au panier, clic vers un CTA, demande de devis, etc.). Chaque site a sa propre définition des événements clés, ce qui introduit une part de variabilité, mais les résultats ont été agrégés par secteur pour lisser ces écarts.
Le KECVR, un indicateur d’intention ?
L’étude utilise le Key Event Conversion Rate (KECVR) comme indicateur principal :
KECVR = nombre d’événements clés / nombre de sessions
Ce taux donne une solide estimation de l’intention d’action post-clic, tout en restant indépendant du contenu ou des objectifs marketing spécifiques de chaque site.
Limites méthodologiques
- Hétérogénéité des configurations GA4 (certains sites ont des événements personnalisés, d’autres non).
- Présence de « key event bloat » sur certains comptes : des sessions affichant un taux de conversion supérieur à 100 %, preuve d’une mauvaise implémentation. Ces comptes ont été volontairement exclus de l’étude pour préserver la cohérence des résultats.
- Absence de données sur les AI Overviews de Google (non traçables de manière fiable).
Dan Taylor a privilégié une approche méthodologique rigoureuse : plutôt que d’inclure des données manifestement erronées qui auraient pu fausser les conclusions, il a choisi d’épurer le dataset pour ne conserver que les comptes avec une implémentation GA4 cohérente.
En dépit de ces limitations, le volume et la diversité des données permettent de tirer des tendances sectorielles nettes, et surtout, de mieux comprendre le rôle des LLMs dans l’écosystème de la recherche.
Résultats globaux : le SEO reste le canal le plus engageant
Les données recueillies montrent une tendance claire et contre-intuitive :
Dans la grande majorité des secteurs, les sessions issues du trafic SEO classique présentent un meilleur taux de conversion par événement clé (KECVR) que celles provenant des LLMs.
Autrement dit, les clics SEO restent plus propices à l’action que ceux issus des assistants IA, malgré l’hypothèse inverse souvent avancée.
Un écart significatif dans les secteurs transactionnels
Voici quelques écarts marquants observés dans les secteurs les plus stratégiques :
Secteur | KECVR LLM | KECVR SEO | Écart |
---|---|---|---|
Consumer e-commerce | 17,56 % | 24,12 % | +6,56 points |
Education | 1,89 % | 3,97 % | +2,08 points |
Human Resources | 2,17 % | 8,99 % | +6,82 points |
Télécommunications | 5,73 % | 7,35 % | +1,62 points |
B2B Services | 2,77 % | 3,01 % | +0,24 points |
SaaS | 6,69 % | 6,71 % | +0,02 points |
Ces chiffres soulignent une réalité opérationnelle. Les utilisateurs issus des LLMs ne sont pas forcément plus avancés dans leur parcours et leurs clics déclenchent moins d’actions concrètes que ceux issus du SEO traditionnel, surtout dans les contextes où la recherche de preuves, de détails techniques ou de comparatifs est déterminante.
Des exceptions sectorielles
Il existe toutefois des cas où le trafic LLM surperforme :
Secteur | KECVR LLM | KECVR SEO | Écart |
---|---|---|---|
Santé | 13,24 % | 12,88 % | -0,36 points |
Carrières | 22,31 % | 16,58 % | -5,73 points |
Sites catalogue | 2,34 % | 2,13 % | -0,21 points |
Publishing (média) | 10,49 % | 6,57 % | -3,92 points |
Immobilier | 6,25 % | 2,71 % | -3,54 points |
Ces secteurs partagent un point commun. Ils se prêtent bien à des requêtes exploratoires ou contextuelles, où les LLMs peuvent fournir des réponses personnalisées ou synthétiques utiles avant un passage à l’action.
Analyse : pourquoi le SEO reste plus performant dans la majorité des cas
Les écarts constatés entre le trafic SEO et le trafic issu des LLMs s’expliquent par des différences fondamentales dans la nature des intentions, le mode d’accès à l’information et la maturité du besoin. Le trafic LLM n’est pas moins pertinent, mais il agit plus en amont dans le parcours utilisateur.
LLM : un canal d’exploration, pas de transaction
Le clic généré par un LLM (ChatGPT, Perplexity, Claude…) intervient souvent au sein d’un échange conversationnel, où l’utilisateur découvre, explore, demande des clarifications. L’intention peut être réelle, mais elle est encore diffuse ou non finalisée.
➤ L’utilisateur cherche à comprendre avant d’agir, pas encore à comparer, acheter ou s’inscrire.
Cela se reflète dans les chiffres : dans les secteurs très transactionnels (e-commerce, B2B, SaaS), les sessions issues du SEO convertissent plus souvent parce qu’elles captent une intention plus mature.
SEO : un levier d’intention directe
Le SEO, en revanche, s’inscrit dans un schéma classique d’accès à l’information. L’utilisateur formule une requête ciblée, clique sur un lien dans une SERP et atterrit sur une page optimisée pour sa demande.
➤ Il sait ce qu’il veut, ou presque, et cherche une réponse concrète, voire une offre.
C’est cette clarté d’intention qui explique pourquoi le KECVR est plus élevé côté SEO. C’est particulièrement vrai dans les cas où :
- La recherche est liée à un besoin immédiat (produit, service, contact),
- L’utilisateur attend des éléments objectifs (prix, comparatif, avis),
- Le site est structuré pour transformer ce besoin en action (UX, CTA).
Le contexte conversationnel change la donne
L’un des apports majeurs des LLMs est de recontextualiser les requêtes, en les inscrivant dans une série d’interactions. Mais cela implique aussi que le clic vers un site n’est qu’une étape intermédiaire : une source parmi d’autres, pas nécessairement un point final.
C’est là que la notion d’intention se complexifie :
- Avec le SEO, on mesure l’intention explicite.
- Avec les LLMs, on entre dans une logique d’intention évolutive.
Pense-bête GA4 : comment traquer le trafic issu des LLMs
Google Analytics 4 ne distingue pas encore le trafic généré par les modèles de langage (LLMs) comme ChatGPT ou Perplexity. Pour l’isoler, Dan Taylor propose une regex à insérer dans vos filtres de rapports GA4, en se basant sur les domaines référents identifiés :
.*chatgpt.com.*|.*perplexity.*|.*copilot.microsoft.com.*|.*openai.com.*|.*gemini.google.com.*|.*claude.ai.*|.*aitastic.app.*|.*bnngpt.com.*|.*writesonic.com.*|.*copy.ai.*|.*chat-gpt.org.*|.*claudebot.*|.*ai2bot.*|.*huggingface.co.*|.*anthropic.com.*|.*you.com.*|.*bard.google.com.*|.*quora.com/poe.*|.*snapchat.com.*|.*pi.ai.*|.*deepl.com.*|.*cohere.ai.*|.*reka.ai.*|.*openrouter.ai.*|.*phind.com.*|.*mistral.ai.*
Où l’utiliser ?
Dans GA4, créez un segment personnalisé ou appliquez un filtre sur la dimension « Page de référence » (source/medium ou page_referrer). Pour approfondir l’analyse de vos données SEO, consultez notre guide Analytics SEO.
Astuce
- N’oubliez pas de tester régulièrement cette expression : de nouveaux LLMs apparaissent (Claude, Pi, Gemini, etc.) et certains changent de domaine.
- Vous pouvez aussi créer une exploration dédiée dans GA4 pour suivre le comportement de ces sessions (taux d’engagement, key events, durée…).
Conclusion : mesurer pour ne pas fantasmer
L’étude de Dan Taylor a le mérite rare de poser des chiffres sur un débat largement spéculatif. Non, les clics issus des LLMs ne traduisent pas en moyenne une intention plus forte que ceux issus du SEO. Et dans les secteurs les plus matures commercialement, le SEO reste clairement plus performant.
Mais l’enjeu n’est pas d’opposer les deux canaux. C’est de comprendre leur complémentarité :
- Le LLM inspire, éclaire, prépare.
- Le SEO rassure, structure, transforme.
Pour les éditeurs et professionnels du référencement, cela implique deux chantiers :
- Adapter leurs contenus aux logiques conversationnelles et aux réponses contextuelles.
- Mettre en place un suivi rigoureux du trafic issu des LLMs (via GA4, regex, scoring comportemental).
Comprendre ces dynamiques, c’est mieux piloter sa visibilité dans un web où la recherche devient réponse.