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Google répète depuis des années que la qualité compte. Mais concrètement, comment un algorithme mesure-t-il des notions aussi subjectives que l’expertise ou la confiance ? Une fuite récente de documentation interne, corroborée par le procès antitrust du département de la Justice américain, offre enfin des réponses tangibles.
Hobo tente progressivement de déchiffrer les documents obtenus. Voici ceux sur l’E-E-A-T.
De la philosophie E-E-A-T à son implémentation technique
E-E-A-T (Experience, Expertise, Authoritativeness, Trust) n’est pas un facteur de classement direct.
C’est avant tout une spécification produit : un cadre conceptuel que les ingénieurs de Google doivent traduire en signaux mesurables. Autrement dit, un idéal humain — celui de la qualité, de la fiabilité, de la pertinence — qu’il faut rendre compréhensible pour une machine.
Le défi consiste à convertir l’abstraction en données : transformer des notions comme la confiance, l’expertise ou l’expérience vécue en indicateurs quantifiables, exploitables à l’échelle de milliards de documents.
Les documents divulgués du Content Warehouse API révèlent précisément cette mécanique.
Ils montrent comment Google cherche à mécaniser sa propre philosophie de la qualité, en construisant des équivalents algorithmiques — des proxies — pour chacune des composantes d’E-E-A-T.
L’architecture interne : comment Google évalue qualité et pertinence
Le classement de Google repose sur deux questions fondamentales :
- Ce document est-il digne de confiance ? (Q, pour Quality)
- Et répond-il véritablement à la requête ? (P, pour Popularity ou Pertinence).
Ces deux dimensions structurent l’ensemble du système de ranking.
Elles s’appliquent dès la première étape : l’indexation, où les pages sont triées avant même d’être éligibles au classement.
Un module appelé SegIndexer répartit les pages en plusieurs niveaux de qualité, aux noms aussi évocateurs qu’inhabituels : Base, Zeppelins ou Landfills.
Cette hiérarchie détermine le destin de votre contenu : une page classée dans les niveaux inférieurs est, en pratique, écartée avant tout calcul de position.
Les contenus qui franchissent ce premier filtre sont ensuite pris en charge par Mustang, un système de scoring intermédiaire.
Mustang évalue les signaux de qualité pré-calculés et décide quelles pages méritent d’être soumises à des modules plus coûteux et sophistiqués, comme Navboost, le moteur comportemental qui affine le classement selon les signaux utilisateurs (clics, engagement et satisfaction).
Google n’évalue pas tout le web, mais opère une série de gardes successives :
- Un premier tri fondé sur la qualité perçue,
- Puis un reclassement plus fin réservé aux contenus qui ont prouvé leur valeur.
Mesurer l’expérience : quand l’effort devient un signal de qualité
Dans la logique d’E-E-A-T, l’expérience reflète l’implication directe du créateur avec son sujet.
Une personne qui teste réellement un produit, qui expérimente ou documente une situation concrète, démontre une expérience authentique — bien différente d’un simple agrégateur d’informations ou d’un contenu généré automatiquement.
Google tente de quantifier cette expérience à travers plusieurs attributs techniques révélés par la fuite du Content Warehouse API :
contentEffort
: évalue l’investissement humain derrière une page. Il mesure la difficulté à reproduire le contenu et sert de garde-fou contre la production automatisée à faible valeur ajoutée. En pratique, c’est un signal anti-commoditisation, conçu pour identifier et pénaliser le contenu générique ou superficiel.originalContentScore
: détecte le contenu véritablement unique — celui qui contient des observations personnelles, des données inédites ou des détails impossibles à inventer sans expérience directe.lastSignificantUpdate
: distingue les simples ajustements cosmétiques des révisions substantielles. Mettre à jour régulièrement un contenu de fond est interprété comme un signe d’expertise active et maintenue dans le temps.
La présence de visuels originaux (docImages
) renforce cette perception : des images uniques, prises ou produites spécifiquement pour un article, constituent une preuve tangible d’implication.
Et dans certains secteurs — notamment les tests de produits — Google va encore plus loin : l’attribut productReviewPUhqPage
identifie les critiques de produits jugées hautement qualitatives, fondées sur un usage réel et détaillé.
En filigrane, le message est clair : le contenu anonyme, produit à la chaîne ou généré par IA sans perspective unique démarre avec un désavantage algorithmique. Ce que Google valorise désormais, ce n’est plus seulement la forme du contenu, mais l’effort cognitif, empirique et humain qui s’y manifeste.
Mesurer l’expertise : spécialisation, cohérence et profondeur thématique
Dans la logique d’E-E-A-T, l’expertise renvoie à la maîtrise d’un domaine précis — la profondeur de connaissance et de traitement d’un sujet. Un professeur de physique détient une expertise, un astronaute possède une expérience. Les deux comptent, mais pas de la même manière : l’un maîtrise les principes, l’autre vit la pratique.
Google cherche à quantifier cette spécialisation à travers plusieurs signaux structurels et sémantiques.
siteFocusScore
: valorise les sites concentrés sur une thématique précise. Plus un domaine est cohérent dans ses sujets, plus son score est élevé. À l’inverse, un site généraliste ou dispersé sur des thématiques éloignées verra son signal d’expertise dilué.siteRadius
: mesure la distance entre une page donnée et le “noyau thématique” du site. Un contenu qui s’écarte trop de ce centre — par exemple un article hors-sujet publié sur un site spécialisé — est perçu comme moins expert.site2vecEmbeddingEncoded
: crée une représentation vectorielle des thèmes d’un site, qui permet à Google de mesurer la cohérence topique de manière mathématique. Cette approche, héritée du traitement du langage naturel, aide à identifier les domaines de compétence stables et authentiques.
Au niveau du contenu individuel, le module EntityAnnotations
identifie les entités mentionnées dans une page — les “choses” dont il est réellement question. Un texte riche en entités clairement définies, correctement reliées et contextuellement pertinentes est interprété comme un contenu d’expert.
Ce signal est renforcé par QBST
(Query-Based Semantic Terms), un système qui détecte si une page contient les termes et concepts que Google s’attend à trouver dans un contenu réellement pertinent pour une requête donnée.
Dans les domaines sensibles — santé, finance, droit — des classifieurs spécifiques comme ymylHealthScore
(Your Money or Your Life) imposent des standards d’expertise plus stricts, afin de limiter la visibilité de contenus non fiables.
Enfin, l’expertise peut aussi être géolocalisée.
L’attribut geotopicality
suggère que Google évalue la pertinence thématique dans un contexte territorial : un tailleur installé sur Savile Row hérite, par exemple, de l’autorité géo-topique associée à cette rue emblématique de la confection britannique.
Mesurer l’autorité : inertie algorithmique et réputation de confiance
Dans le cadre d’E-E-A-T, l’autorité désigne la reconnaissance d’une source comme référence fiable — un site cité, relayé et perçu comme digne de confiance par d’autres entités de son écosystème.
C’est la mesure de la réputation numérique, observable à travers les liens, les mentions et la constance de la qualité perçue dans le temps.
Au cœur de cette logique se trouve predictedDefaultNsr
, un score interne de qualité de base.
Particularité cruciale : Google conserve un historique de ce score.
Cette continuité temporelle génère une inertie algorithmique — ou momentum algorithmique — qui favorise les sites ayant accumulé, sur la durée, des signaux de fiabilité et de qualité cohérents.
Une trajectoire de confiance stable devient un avantage compétitif difficile à renverser.
Le signal siteAuthority
agrège ces éléments — profil de liens, qualité intrinsèque du contenu et engagement utilisateur — en un indicateur holistique de réputation au niveau du domaine.
C’est, en quelque sorte, l’héritier moderne du PageRank : un score global de crédibilité, mais enrichi de dimensions comportementales et qualitatives.
Les révélations du procès antitrust du Department of Justice (DOJ) ont d’ailleurs confirmé que les données issues de Chrome participent directement à ces signaux de popularité et d’usage.
Une information que Google avait niée publiquement pendant des années, mais désormais corroborée par les documents judiciaires.
Un autre attribut, queriesForWhichOfficial
, répertorie les requêtes pour lesquelles une page est reconnue comme source “officielle”. Devenir cette référence — le site vers lequel l’algorithme renvoie par défaut pour un sujet donné — constitue l’un des signaux d’autorité les plus puissants de tout le système.
Google distingue également les entités selon leur nature : isLargeChain
identifie les grandes enseignes ou réseaux nationaux, ce qui permet à l’algorithme d’ajuster ses attentes. Une chaîne internationale et une entreprise locale ne sont pas évaluées selon les mêmes seuils d’autorité, car leurs contextes de réputation diffèrent.
Le système applique enfin activement des modificateurs :
authorityPromotion
renforce la visibilité des sites perçus comme hautement crédibles,- Tandis que
unAuthoritativeScore
agit comme un frein pour ceux jugés insuffisamment fiables ou pertinents.
Mesurer la confiance : validation comportementale et signaux techniques
Dans la mécanique d’E-E-A-T, la confiance est la pierre angulaire qui soutient toutes les autres composantes. Elle repose à la fois sur la fiabilité technique, la qualité intrinsèque du contenu et la validation comportementale des utilisateurs.
Un site peut être expert et populaire, mais sans signaux forts de fiabilité, il ne sera pas perçu comme digne de confiance par l’algorithme.
Dès l’indexation, cette dimension est prise en compte. Le signal scaledSelectionTierRank
détermine le niveau de confiance initial d’un site. Être relégué dans les niveaux inférieurs — les fameux Landfills identifiés dans la documentation — réduit drastiquement les chances d’apparaître dans les résultats, quelle que soit la qualité ultérieure du contenu.
Les signaux techniques fondamentaux jouent ici un rôle majeur :
badSslCertificate
(certificat SSL invalide) mine directement la confiance.- Les problèmes de canonicalisation, redirections erronées ou contenu dupliqué, affaiblissent la perception de fiabilité. Un site qui envoie des signaux clairs, stables et cohérents inspire davantage confiance qu’un environnement désordonné ou techniquement instable.
Le système pandaDemotion
agit, lui, comme une pénalité structurelle : il inflige une “dette algorithmique” aux domaines hébergeant du contenu de faible qualité, réduisant leur visibilité globale jusqu’à correction.
Mais la validation la plus décisive vient des utilisateurs eux-mêmes.
Le système Navboost ne se contente pas de compter les clics : il les qualifie.
Un good click survient lorsque l’utilisateur clique sur un résultat et ne revient pas immédiatement aux SERP — un signe de satisfaction.
À l’inverse, un bad click (ou pogo-sticking) traduit une expérience décevante.
Un signal encore plus fort, le “last longest click”, capture la dernière interaction significative d’une session : si l’utilisateur reste longtemps sur une page avant de quitter Google, cela valide la pertinence et la fiabilité perçues du contenu.
Ces signaux comportementaux ne sont pas neutres : ils entraînent des modifications tangibles de classement.
navDemotion
pénalise les pages offrant une mauvaise expérience sur site.serpDemotion
agit lorsque la performance perçue dans les résultats est inférieure à celle attendue.
Sur le plan ergonomique, clutterScore
mesure la densité d’éléments perturbateurs : publicités, pop-ups, overlays, etc. Un design trop intrusif ou confus réduit directement le score de confiance global.
Enfin, pour les entités locales, la confiance s’étend au monde physique.
Le module LocalWWWInfo
et ses attributs —
brickAndMortarStrength
, qui évalue la présence physique d’une entreprise,wrapptorItem
etcluster
, qui recoupent les données NAP (Name, Address, Phone) à travers le web —
servent à valider l’identité et la cohérence d’un établissement dans son environnement réel.
La confiance n’est pas une abstraction morale : c’est une mesure systémique de cohérence et de fiabilité, où chaque interaction — du certificat SSL au dernier clic utilisateur — alimente le verdict final de crédibilité d’un site.
L’interdépendance systémique : un écosystème de signaux en rétroaction
Les quatre composantes d’E-E-A-T — expérience, expertise, autorité et confiance — ne fonctionnent pas comme des critères indépendants, mais comme les éléments d’un système en rétroaction continue.
Chaque dimension alimente les autres, formant une architecture où la force d’un pilier amplifie la stabilité de l’ensemble.
Un site peut, par exemple, bâtir son expertise grâce à un siteFocusScore
élevé et une base de contenu original et cohérent.
Ce corpus thématique attire naturellement des liens et des mentions de sources fiables, renforçant ainsi son siteAuthority
.
Cette autorité améliore la visibilité du site dans les résultats.
Exposé à un plus large public, le contenu génère alors davantage de clics positifs — les good clicks identifiés par Navboost — qui, à leur tour, renforcent les signaux de confiance comportementale.
Le système crée ainsi un cycle vertueux de crédibilité et de performance : la qualité produit la visibilité, la visibilité renforce la confiance, et la confiance consolide la réputation algorithmique.
L’inverse est tout aussi vrai. Une faiblesse dans l’une de ces dimensions peut déséquilibrer tout l’édifice : un site techniquement solide mais dépourvu d’autorité, ou un domaine expert mais perçu comme peu fiable, verra sa visibilité s’éroder. Même le contenu le plus approfondi peut rester invisible s’il n’obtient pas les signaux comportementaux ou réputationnels nécessaires pour franchir les seuils d’éligibilité du classement.
E-E-A-T n’est donc pas une grille d’évaluation fragmentée : c’est un système d’équilibres dynamiques, où la cohérence globale du site compte davantage que l’excellence isolée d’une page ou d’un signal.
Implications stratégiques : de la page à l’entité
Les révélations du Content Warehouse imposent une refonte du modèle SEO classique.
L’optimisation ne peut plus se limiter à la page : les signaux dominants — comme siteAuthority
ou siteFocusScore
— opèrent à l’échelle du domaine et de l’entité.
Un contenu d’excellence publié sur un site à faible autorité sera mécaniquement désavantagé face à un texte moyen hébergé sur un domaine déjà reconnu comme expert et fiable.
L’enjeu prioritaire devient donc la construction de réputation algorithmique : cohérence thématique, antériorité de qualité, et reconnaissance par des entités externes.
Google suit désormais la traçabilité des auteurs via des identifiants comme authorObfuscatedGaiaStr
, confirmant un glissement du “contenu” vers “qui le signe”.
L’optimisation s’étend ainsi à la réputation des contributeurs eux-mêmes — cohérence des signatures, profils publics, pages biographiques et empreinte numérique vérifiable.
La satisfaction utilisateur comme preuve de qualité
Les systèmes comme Navboost ont transformé la satisfaction utilisateur en signal mesurable.
Le moteur ne s’arrête plus au clic : il évalue la qualité de l’expérience via le ratio good clicks / bad clicks et la durée du “last longest click”.
Autrement dit, le comportement post-clic est devenu un critère concret de classement.
Un titre ou un extrait trompeur n’est plus simplement un défaut éditorial : c’est un signal négatif.
La conception des métadonnées doit désormais aligner intention, promesse et expérience réelle — sous peine de déclencher des pénalités comportementales.
Le plafond d’autorité : une barrière algorithmique implicite
Les signaux de siteAuthority
et les niveaux d’indexation (comme Base, Zeppelins, Landfills) agissent comme des filtres d’éligibilité.
Pour certaines requêtes, seuls les sites dépassant un seuil de qualité global sont évalués en profondeur.
Un nouveau site peut donc produire du contenu irréprochable — sans pour autant franchir ce plafond d’autorité qui conditionne l’accès à la compétition algorithmique.
L’enjeu n’est plus seulement de créer du “bon contenu”, mais d’atteindre le seuil de crédibilité structurelle qui rend ce contenu visible.