Sommaire
Les systèmes d’IA ne sélectionnent pas les sources de manière équitable. Cette asymétrie, loin d’être un détail, reconfigure les enjeux de visibilité et de réputation pour les marques.
Le Selection Rate révèle les préférences cachées de l’IA
Le concept de Selection Rate (SR), proposé récemment par Dejan et repris par Duane Forrester dans Search Engine Journal (11 septembre 2025), illustre ce biais de sélection primaire des IA. Le SR mesure la fréquence à laquelle une source est retenue parmi l’ensemble des options disponibles (sélections ÷ options × 100).
Lorsqu’un modèle comme ChatGPT, Perplexity ou Gemini construit une réponse, il peut puiser dans plusieurs sources de référence. Mais toutes n’ont pas la même probabilité d’être choisies. Certaines apparaissent de façon récurrente, d’autres presque jamais.
Ce déséquilibre nourrit un cercle auto-renforçant. Plus une source est citée, plus elle gagne en autorité perçue, et plus elle est susceptible d’être citée de nouveau. Forrester rapporte que des chercheurs décrivent ce phénomène sous le nom de “neural howlround”, une forme de boucle où des données initialement surpondérées finissent par s’ancrer durablement dans les modèles. Cela crée des schémas de réponse résistants aux corrections, même après introduction de nouvelles données.
L’impossibilité de la neutralité de marque
Aujourd’hui, aucune marque n’échappe à l’interprétation. Chaque prise de parole, chaque partenariat ou choix opérationnel est lu comme un signal culturel ou politique.
Certains exemples récents sont révélateurs : Nike avec Colin Kaepernick, Bud Light avec Dylan Mulvaney, ou encore Disney face aux autorités de Floride. Dans chacun de ces cas, une décision marketing ou institutionnelle a été immédiatement traduite en prise de position sociétale — renforçant la loyauté d’une partie du public tout en déclenchant une opposition frontale de l’autre.
C’est ce que certains analystes, dont Bill Hartzer dans Brands on the Ballot, décrivent comme la logique de la “marque non-neutre”. Même des choix qui semblent purement opérationnels — sélection des plateformes publicitaires, politique de sponsoring ou choix de fournisseurs — deviennent des déclarations implicites d’intention.
Dans un environnement polarisé comme le nôtre, la neutralité elle-même cesse d’être perçue comme neutre. Elle est interprétée comme un alignement, ou au contraire comme une absence de courage.
Biais structurels dans la recherche traditionnelle
Bien avant l’IA générative, les moteurs de recherche portaient déjà en eux des biais structurels. Certains sont connus depuis longtemps, mais leurs effets restent puissants :
- Biais de fraîcheur : les sites crawlés et mis à jour fréquemment bénéficient d’un avantage marqué sur les requêtes liées à l’actualité.
- Biais géographique : les domaines nationaux (ccTLD comme .fr ou .jp) sont souvent privilégiés pour signaler une pertinence locale.
- Biais de popularité : les marques établies ou déjà reconnues jouissent d’une prime de visibilité, même lorsque leur contenu n’est pas intrinsèquement supérieur.
Ces mécanismes influencent directement la perception des utilisateurs. Une étude publiée dans PLOS (2024) a montré qu’en modifiant simplement l’ordre d’affichage des résultats, on pouvait orienter les opinions de près de 30 % des internautes. Ce phénomène est encore amplifié par les bulles de filtres, qui renforcent les croyances préexistantes en limitant l’exposition à des points de vue alternatifs.
Nouvelles couches de biais dans les LLM
Les grands modèles de langage ajoutent des strates inédites de biais :
- Données d’entraînement déséquilibrées : certains groupes ou perspectives sont surreprésentés, d’autres quasi absents.
- Biais de formulation des prompts : la façon dont une question est posée influe directement sur la réponse générée.
- Ordre des documents : des travaux du MIT montrent que la séquence d’alimentation des sources peut modifier radicalement les sorties.
Malgré les ajustements destinés à améliorer l’équité, la littérature scientifique confirme que les biais implicites persistent.
Risques émergents et gestion stratégique du biais
Un scénario préoccupant se dessine : l’exploitation délibérée des biais inhérents aux systèmes d’IA. En saturant l’écosystème avec du contenu orienté, un concurrent pourrait amener un LLM à présenter sa version de votre marque comme la référence. Cette manipulation ne requiert ni mention explicite ni contournement légal.
Les modèles reconnaissent déjà une entité à travers des indices indirects — description de logo, caractéristiques distinctives et signaux narratifs. Une campagne de “murmures” n’a pas besoin d’être virale, il suffit qu’elle soit suffisamment diffuse pour être interprétée comme un consensus.
Face à ce risque, la seule option viable est de gérer le biais plutôt que de le subir. Cela implique quatre leviers concrets :
- Détecter où il se manifeste, via des audits SEO, des tests de prompts structurés ou l’analyse des réactions clients.
- Démasquer l’opacité des moteurs et des LLM, qui masquent leurs pondérations mais finissent par exposer leurs biais.
- Assumer ses propres choix : chaque ICP, chaque cadrage éditorial constitue une forme de biais dirigé qu’il vaut mieux reconnaître que laisser implicite.
- Structurer son empreinte IA avec des contenus accessibles, balisés et alignés sur la position souhaitée, afin d’imposer des signaux clairs aux systèmes génératifs.
En définitive, les biais sont inévitables. La différence se joue dans la maîtrise. Une marque qui structure activement sa présence transforme ces biais en leviers d’autorité. Celles qui l’ignorent laissent d’autres écrire leur narratif à leur place.